Miss Provence insultée, ou le signe d'un antisémitisme banalisé

TRIBUNE. Selon les auteurs de ce texte, la haine des juifs prospère du fait de la complaisance de la gauche, voire de son implication active.

Par Rafaël Amselem*, Lucien Guyon**, Thomas Leroux*** et Alana Daraï****

Temps de lecture : 5 min

En ce samedi 19 décembre 2020, April Benayoum – alias Miss Provence – aurait dû demeurer dans l'histoire anecdotique des concours de beauté. C'est cependant pour des raisons autrement plus tristes que son nom devint pour une nuit le symbole effervescent d'une incurable engelure française : l'antisémitisme.

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Sa constance est marmoréenne et il n'est jamais las de ses arguments : « les Juifs dominent le monde », « les Juifs sont intéressés », et de conclure après ces anathèmes, sans lien sinon la haine, qu'Hitler aurait dû en finir ou que la nature a fait du Juif et de la corruption une seule et même déviance. Ce samedi, donc, un simple concours de beauté voyait ressurgir, en raison des origines israéliennes d'une candidate, le brûlot d'hostilités envers les Juifs via une litanie de tweets nauséabonds.

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La modernité a accouché d'une situation paradoxale, mise en lumière par l'actualité de Miss France : les populations juives françaises, initialement les cibles historiques de l'extrême droite – dans le sillage de Maurras et Barrès – subissent désormais un silence venu de la gauche quant à leurs souffrances.

Certes, rien de nouveau sous le soleil. « L'antisémite de gauche reproche aux Juifs d'être les géants du capitalisme », disait Herbert Pagani. C'est ainsi qu'une nouvelle hostilité envers les Juifs naquit simultanément avec l'émergence de certains mouvements ouvriers, associant le peuple juif à l'accaparement des ressources. Pour se souvenir, Proudhon, père du socialisme, écrivait : « Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout. » On pense encore à Jules Guesde, ministre socialiste, qui inventa la représentation des Juifs en pieuvre. Jusqu'à aujourd'hui, la même association des Juifs au grand capital persévère dans certains mouvements à gauche, avec un ajustement qu'on ne saurait négliger : le chantage à la Shoah.

Compromissions

Cet effet de manche convient d'une rhétorique prosaïque. Les Juifs collaboreraient avec l'État français pour la sauvegarde de leurs intérêts, et recevraient par là même un traitement de faveur en réparation des sévices subis durant la Seconde Guerre. Houria Bouteldja, figure incontournable des sphères indigénistes, de déclarer : « Les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe. » Héritière par ces propos du négationnisme né après-guerre sous la plume de Paul Rassinier, alors membre de la SFIO, qui postulait une thèse similaire d'alliance entre les Juifs, l'Argent et l'État.

La gauche contemporaine ne se prive pas de telles compromissions. Maboula Soumahoro, universitaire gravitant dans les milieux antiracistes, affirmait sur un plateau ne pas voir le problème à constituer une liste électorale aux municipales de Sarcelles avec pour seul motif de remplacer un maire juif. Rokhaya Diallo, à son tour, écrivit que les Juifs ne furent pas ciblés en tant que groupe par les nazis. Les membres de La France insoumise, eux, manifestent régulièrement avec les Indigènes de la République, dont l'ancienne présidente, la même Houria Bouteldja, tint une conférence intitulée : « Mohammed Merah, c'est moi. »

Lire aussi Victimisation, complotisme et antisionisme… Étrange soirée indigéniste à Ménilmontant

Pour finir, des figures politiques ont récemment pris la défense de l'association Baraka City, alors que son directeur ne manquait pas de rendre hommage à Sayyid Qutb, un des théoriciens de l'extermination des Juifs d'Orient. Une fois de plus, cette gauche se fourvoyait en méprisant l'évidence, pour ne pas avoir à l'étudier. Comprenons alors que les anecdotiques communiqués par les mêmes à l'égard d'April Benayoum ce samedi passent pour de feintes indignations. La gauche antiraciste, pourtant, en revendiquant l'héritage de Frantz Fanon, devrait se souvenir de son conseil : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille, on parle de vous. »

Rhétorique postmoderne

Les errements énumérés d'une partie de la gauche à propos de la question antisémite sont aussi nourris sur le plan théorique. Reprenant à leur compte la « théorie critique », des groupes militants et des partis politiques adhèrent à la position selon laquelle les diverses oppressions seraient la conséquence de systèmes de domination historiquement construits. Ainsi, de la constitution de structures de pouvoir basées sur des critères matériellement perceptibles (la couleur, le genre, l'orientation amoureuse…) dépendrait la continuité des discriminations exercées par les personnes majoritaires, dites privilégiées.

Les Juifs s'inscrivent dans ce processus comme un cas limite, ceux-ci n'étant pas reconnaissables en tant que Juifs dans l'espace public. Ils ne souffrent pas, à ce titre, de discriminations basées sur un critère matériel. Aux différents degrés de la vie sociale, qu'il s'agisse de la recherche d'un logement, de l'obtention d'un emploi ou de la poursuite des études, il est vraisemblable que les Juifs ne soient pas inquiétés pour leur appartenance ethnique ou religieuse. Considérant les oppressions sous cet unique rapport, cette gauche fait fi de l'antisémitisme au motif que les Juifs n'entrent pas dans les catégories raciales dominées institutionnellement du fait de l'absence d'expression de la judéité au travers de leur corps.

Lire aussi : Strauch-Bonart – Cet inquiétant antisémitisme de gauche

Cette rhétorique postmoderne trouve aussi une source dans la question israélienne. Dans un rapport de 2004, Jean-Christophe Rufin dénonçait déjà « une nouvelle et subtile forme d'antisémitisme dans l'antisionisme radical », que l'on pouvait aisément situer dans les branches de la gauche radicale. L'Israélien devient in fine l'illustration parfaite du schéma dominateur-dominé : le colon juif qui pille et massacre en terres palestiniennes. Par un habile exercice de déformation de la réalité, le sionisme n'est plus un projet d'autodétermination pour un peuple, mais devient synonyme du pire asservissement, comparé le plus souvent à l'impéralisme européen ou au suprémacisme blanc. La seule lecture des messages de ce samedi soir démontre les résultats de l'infusion d'une telle idéologie, dont l'étendue semble nous avoir échappé.

Pour résumer, la jonction entre une aile traditionnellement antisémite, les regards détournés de certains et une incapacité théorique à intégrer le particularisme de cette forme de haine, devrait au moins interroger certaines personnalités sur les discours qu'elles légitiment par mansuétude ou par complaisance.

* Rafaël Amselem, diplômé d'un master du département de droit public de l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

** Lucien Guyon, diplômé en philosophie à l'université Bordeaux-Montaigne

*** Thomas Leroux, président de l'Union française contre l'antisémitisme

**** Alana Daraï, secrétaire générale de l'Union française contre l'antisémitisme

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Commentaires (37)

  • patachon91

    Encore faudrait il avoir quelque connaissance de l'Histoire notamment française au XIX ème siècle et de ce que les ignominies d'un Drumont a instillé dans les esprits les plus dévoyés de ce pays parmi ses continuateurs, bien au-delà de l'Affaire Dreyfus, jusqu'aux ligues et infamies de l'autoproclamée Révolution Nationale, encensée par un Maurras et autres collaborationnistes.

    Mais cela nécessite un autre effort que de surfer sur le buzz...

  • patachon91

    Encore faudrait il avoir quelque connaissance de l'Histoire notamment française au XIX ème siècle et de ce que les ignominies d'un Drumont a instillé dans les esprits les plus dévoyés de ce pays parmi ses continuateurs, bien au-delà de l'Affaire Dreyfus, jusqu'aux ligues et infamies de l'autoproclamée Révolution Nationale, encensée par un Maurras et autres collaborationnistes...

  • mimirr

    Que Le Point soit un journal de droite et qu'il tape sur la gauche cela se comprend. Mais cet article mériterait en réponse un article argumenté qui démontrerait qu'historiquement c'est la droite qui a porté l'antisémitisme en France ; de plus accuser Sayyid Qutb d'antisémitisme demande à être prouvé ! Cet article relève plus du pamphlet que des articles de réflexion auxquels Le Point nous a habitués !